Atrocement, se brûler

Il refuse. Il se refuse.

 Nihiliste.

Plus rien, il n’accepte plus rien.

Il veut être celui qui court, qui se brûle la gorge pour rien, sans raison.

Se brûler, se brûler encore.

Devant, toujours devant, atrocement.

Il refuse, il le refuse, d’arrêter.

Celui, là. lui.

À bout de souffle…

Rose sépia

La veille (quatre heures auparavant), t’avais programmé le réveil-matin pour te lever aux aurores, en même temps que la voix désagréable de René-Homier Roy. Sauf qu’arrivées lesdites aurores, les énergies se concentrent  à snoozer compulsivement plutôt qu’à hisser ton corps  lourd hors du lit. Encore, encore, jusqu’à ce que la lucidité ressurgisse et te fasse comprendre ta stupidité. Tu le dis à haute voix, que t’es stupide, ça matérialise l’urgence dans ton appart’! Hors du lit, tu bondis devant le miroir. Prendre ta douche la veille, te faire économiser du temps? Que nenni! La tignasse! Fer plat, embraye, y’a du travail qui nous attend. La cafetière ronronne, l’odeur du café qui se répand dans la cuisine fait vraiment plaisir… Tu sors de chez toi en courant, galvanisée. C’est une grosse journée, comme d’habitude. Tu travailles, puis après c’est les cours, puis après les longues heures d’étude à la bibliothèque, jusqu’à ce que le gardien t’expulse. Il en a vu d’autres, des étudiantes zélées récalcitrantes comme toi. Son air exaspéré et un tantinet agressif te plait beaucoup, mais te rappelle aussi l’inexistence de ta vie sexuelle. Tu essayes de lui faire un air engageant, juste pour la forme, mais tu te rappelles que t’es habillée comme la chienne à Jacques, et la tignasse, de surcroit…

Tant pis. Dans le métro, la lumière est jaune. T’habites loin, que tu te dis, pas contente. Dehors, il fait noir. Tu marches vers chez toi, même si c’est 35 minutes et qu’il est passé minuit. T’as pas envie d’attendre un autobus toute seule… Tu t’allumes une clope, t’avais juré ne plus jamais le faire… personne te voit, et tu t’en fous pas mal. Tu penses à tout plein de choses pas importantes, t’es crevée… Tu sais plus trop il est quelle heure, il fait noir, soit, mais t’avances, t’avances… Tu jettes un coup d’œil au ciel, un éclair de nuit rose…

On sait plus

Le vide s’installe confortablement entre mes deux globes oculaires. Il n’y a pas de jeune fille. Mon attention se porte sur des pelures d’oranges qui échouent au sol. Fascinée. Fascinant. L’œuvre.

J’imagine des surgissements, des soudainetés. Mon corps mis à mal, une minute de violence. Tout ça est si peu clair.

Ouais, vraiment…

Contorsionnée sur la banquette de vinyle, je constate que certains mots deviennent immédiatement poétiques lorsqu’accordés au pluriel.

Héliums

par exemple.

Peut-être qu’un jour mes épaules deviendront frêles, et peut-être aussi  … euh.

Je souhaite le tremblement, le spasme, le tressaillement. Là, nulle part. On ne sait plus, je ne l’ai peut-être jamais dit, mais je l’ai déjà pensé.

Oh, ça oui!

Mais quoi au juste?

Mais rien, une convulsion, tranquille, s’il vous plaît.

Je me répète.

Ce n’est pas fini.

Vernissage

Je lisse une mèche de cheveux rebelle derrière mon oreille. Devant le miroir, le résultat est satisfaisant. Cheveux impecs, maquillage discret et lumineux, pendants d’oreilles vintage, les yeux encadrés par une énorme monture de corne… on sera en terrain connu. Le haut diaphane à imprimé artsy, la petite jupe, le veston, parce que c’est un grand soir. Je suis presque moi-même convaincue. Devant la glace, je risque un sourire. Mieux vaut ne pas sourire, et adopter un air songeur et intéressé. Alors, on y va?

On arrive. Finalement, c’est très probable. Bien sûr, la pièce est blanche, grande et épurée. L’attendue  musique électro-lounge joue en sourdine. Les corps jeunes et bigarrés arpentent la salle d’un pas lent, en petits groupes. Du style, indéniablement, des  tatouages,de l’éclectisme… La blancheur et la foule commencent à m’inquiéter. Je la cherche du regard. Bien vite, j’apperçois cette chevelure rouge en mouvance se précipiter sur moi.Tout sourire, C.  Visiblement, déjà quelques verres dans le nez, et quelques tableaux vendus vu l’enthousiasme. Se saisit de mes mains, sourire mondain, Au delà, ça pétille pour vrai dans ses yeux. Arrêt obligatoire vers le bar, où une beauté sculpturale me verse le petit verre de chardonnay réglementaire. Je peux maintenant déambuler désinvolte. On fait le tour. C’est parfois réellement intéressant, parfois pas du tout.

Bien vite, je remarque que la foule présente à mes yeux beaucoup plus d’intérêt que ce qui se trouve affiché au mur. Une fois de plus, l’improbable, c’est moi. Et je m’en réjouis.

Je suis foudroyée par leur sens du style et leur manière désintéressée d’esquisser des gestes, par la couleur de leurs lèvres. J’achète une toile à C. Elle me serre dans ses bras. Elle est heureuse, c’est sa soirée. La victoire de l’art.

Un verre de rouge! Pas que j’aie particulièrement soif. Je voulais retourner la voir de plus près. Peut-être qu’après le troisième je lui sourirai. Ce n’est pas décidé encore. C. freine ma scéance de contemplation et m’entraine par le bras pour me présenter à ses amis artistes. J’appréhende. Je ne maîtrise aucunement la rhétorique des mondanités.

Occurence de l’improbable. se substituent aux échanges superficiels une conversation réellement passionnante. Les rires fusent naturellement, ainsi que les répliques. C. est ravie. Et moi aussi.

Dehors, il fait nuit, il vente et il neige. Noir et blanc.

De mon assiduité dans les salles de cinéma vides ou comment je rachète mon âme

Je ne voulais pas intituler ce billet Plaisir solitaire, parce que c’était attirer l’attention du lecteur potentiel de façon opportuniste (bien qu’il aurait sans doute été déçu de ne pas y trouver de contenu masturbatoire), mais c’est bien de cela dont il s’agit: un plaisir solitaire.

Je vais au cinéma seule. J’ai cette habitude. Et je crois bien être la seule jeune fille de mon âge à l’avoir. Les gens de mon entourage disent en général détester ou pire, craindre la chose. Pourtant, c’est une des activités qui me plaît le plus. Peut-être, justement, parce que je suis la seule à le faire. Je ne sais pas. Enfin…

Je choisis toujours la représentation la plus tardive, ainsi que le film le plus obscur, histoire que la salle soit presque vide. Film étranger, répertoire, qui ne s’avère pas toujours bon, Peu importe le film, c’est l’exercice en soi qui est bénéfique. Le rituel est le même. Si le travail ne me retient pas, je passe quelques heures dans un coin reculé de la bibliothèque la plus proche, à lire, écrire, réfléchir. Seule, avec moi-même. Puis, lentement, dans l’obscurité, je me dirige vers le cinéma, sans musique dans les oreilles, sans pensées obsédantes… Le type qui déchire mon billet, bien souvent ne m’adresse pas la parole, pas plus qu’il ne pose les yeux sur moi. Et c’est tant mieux. Les yeux fixant le sol, je me dirige dans la salle, déjà passablement obscure.

Souvent, je suis la première à m’y installer. Je choisis toujours un banc plutôt derrière, et pas trop sur le côté. Et là, je m’asseois, me plonge dans un livre jusqu’à ce que les lumières ne s’éteignent complètement.

Il est près de 22h. Qui est dans la salle et s’apprête à regarder le film étranger, répertroire qui sera projeté? Des couples bo-bo qui discutent, et semblent avoir un quotidien passionnant. Des hommes seuls, généralement de plus de cinquante ans. Des couples, jeunes et beaux. Des groupes d’étudiants, qui avaient peut-être cours jusqu’à 21h… Mais d’autres jeunes filles seules dans la vingtaine, ça jamais. Jamais je n’en ai vu. Deux amies, deux amantes, peut-être. Jusqu’à preuve du contraire, je suis la seule à faire ce que je fais.

Et c’est un peu grisant. Le film commence. Épuisée et sereine, j’écoute, je regarde sans penser à rien d’autres. Bien vite, le générique défile sur l’écran. Souvent, je suis la première hors de la salle. Rapidement, je gagne la rue obscure, m’engouffre dans le métro. Ne pensant à rien, sinon réfléchissant vaguement au film. Heureuse, soulagée. J’ai l’incompréhensible conviction d’être une personne respectable et marginale. Voilà une drôle d’association que ces deux qualificatifs. Cette soirée en solitaire semble excuser mes cuites, les émissions débiles que je regarde, le babillage superficiel. Je suis en paix avec moi-même, et c’est le silence…