De mon assiduité dans les salles de cinéma vides ou comment je rachète mon âme

Je ne voulais pas intituler ce billet Plaisir solitaire, parce que c’était attirer l’attention du lecteur potentiel de façon opportuniste (bien qu’il aurait sans doute été déçu de ne pas y trouver de contenu masturbatoire), mais c’est bien de cela dont il s’agit: un plaisir solitaire.

Je vais au cinéma seule. J’ai cette habitude. Et je crois bien être la seule jeune fille de mon âge à l’avoir. Les gens de mon entourage disent en général détester ou pire, craindre la chose. Pourtant, c’est une des activités qui me plaît le plus. Peut-être, justement, parce que je suis la seule à le faire. Je ne sais pas. Enfin…

Je choisis toujours la représentation la plus tardive, ainsi que le film le plus obscur, histoire que la salle soit presque vide. Film étranger, répertoire, qui ne s’avère pas toujours bon, Peu importe le film, c’est l’exercice en soi qui est bénéfique. Le rituel est le même. Si le travail ne me retient pas, je passe quelques heures dans un coin reculé de la bibliothèque la plus proche, à lire, écrire, réfléchir. Seule, avec moi-même. Puis, lentement, dans l’obscurité, je me dirige vers le cinéma, sans musique dans les oreilles, sans pensées obsédantes… Le type qui déchire mon billet, bien souvent ne m’adresse pas la parole, pas plus qu’il ne pose les yeux sur moi. Et c’est tant mieux. Les yeux fixant le sol, je me dirige dans la salle, déjà passablement obscure.

Souvent, je suis la première à m’y installer. Je choisis toujours un banc plutôt derrière, et pas trop sur le côté. Et là, je m’asseois, me plonge dans un livre jusqu’à ce que les lumières ne s’éteignent complètement.

Il est près de 22h. Qui est dans la salle et s’apprête à regarder le film étranger, répertroire qui sera projeté? Des couples bo-bo qui discutent, et semblent avoir un quotidien passionnant. Des hommes seuls, généralement de plus de cinquante ans. Des couples, jeunes et beaux. Des groupes d’étudiants, qui avaient peut-être cours jusqu’à 21h… Mais d’autres jeunes filles seules dans la vingtaine, ça jamais. Jamais je n’en ai vu. Deux amies, deux amantes, peut-être. Jusqu’à preuve du contraire, je suis la seule à faire ce que je fais.

Et c’est un peu grisant. Le film commence. Épuisée et sereine, j’écoute, je regarde sans penser à rien d’autres. Bien vite, le générique défile sur l’écran. Souvent, je suis la première hors de la salle. Rapidement, je gagne la rue obscure, m’engouffre dans le métro. Ne pensant à rien, sinon réfléchissant vaguement au film. Heureuse, soulagée. J’ai l’incompréhensible conviction d’être une personne respectable et marginale. Voilà une drôle d’association que ces deux qualificatifs. Cette soirée en solitaire semble excuser mes cuites, les émissions débiles que je regarde, le babillage superficiel. Je suis en paix avec moi-même, et c’est le silence…